CHRONIQUE DE PRISONS 02
MADAME S.
OU L’IMPOSSIBLE RÉINSERTION
Mme. S. est camerounaise. C’est une jolie femme d’une quarantaine d’années, toujours bien habillée et souriante. Elle parle, lit et écrit très bien en français. Elle participe à beaucoup d’activités et de formations au centre de détention et rencontre régulièrement l’association « La joie par les livres » pour prendre des livres et échanger avec la bénévole.
Mme. S. a eu une longue peine : 16 ans, en 2012. Elle a eu une peine complémentaire d’interdiction du territoire français avec son jugement : un avocat a obtenu en 2013 qu’elle soit « relevée » de cette peine (il est en effet possible de faire une demande de relèvement, c’est-à-dire de suppression, auprès du tribunal, mais il est difficile de l’obtenir). Elle avait une carte de séjour de dix ans, initialement valable jusqu’en 2018.
Pas de visites
Elle n’a aucune visite, mais nous ne connaissons pas son histoire, ni ce qui l’a amené là. Elle est très discrète et nous ne demandons pas aux détenu·e·s de nous dire pour quels faits ils et elles sont en prison.
Mme. S. souhaite obtenir le renouvellement de sa carte de séjour, car elle pourrait bénéficier d’un aménagement de peine, ayant déjà effectué dix ans de prison. Mme. S. a une longue maladie et elle est suivie pour cela depuis longtemps.
En novembre 2022, suite à un premier rendez-vous, nous lui proposons de déposer une demande de titre de séjour « étranger·e malade » (compte tenu de la spécificité de sa maladie). La sous-préfecture lui adresse alors (sans explications) un dossier « vie privée et familiale ». Après discussion avec Mme. S., elle remplit et envoie tout de même le dossier car s’il est accordé, il est plus « souple » que l’autre.
Après quatre mois (comme le permet la loi), Mme. S. envoie une relance gracieuse à la préfecture. Sans réponse, Mme. S. introduit une nouvelle demande « étranger·e malade » (sa maladie ne se soigne pas dans son pays).
N’ayant toujours aucune réponse de la préfecture, nous demandons en avril 2023 à la directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui est l’interlocutrice de la sous-préfecture, de faire une relance auprès des services : ce qu’elle fait sans problème !
Le silence de l’administration
Devant le silence qui perdure, nous conseillons à Mme. S. de saisir le tribunal administratif pour un recours avec son avocat pour « non réponse de la sous-préfecture » (nous sommes déjà en septembre 2023). Entre-temps, tous les dossiers concernant les étranger·e·s ont été transférés au service de l’immigration de la préfecture sur Saint-Etienne, même si nous ne savons pas pourquoi ?
Ne perdant pas de temps, Mme. S. a fait entretemps une formation d’horticulture et a obtenu un diplôme. Elle a aussi obtenu de faire un stage de deux mois dans une bibliothèque municipale : le juge accepte de repousser sa demande d’aménagement de peine à décembre, arguant du fait qu’elle a besoin d’un titre de séjour, voire d’un récépissé pour ce faire.
Toute la peine
Pour saisir le tribunal administratif, Mme. S. a besoin d’un avocat et elle obtient l’aide juridictionnelle pour la prise en charge de ses frais de procédures. Hélas, la limite fixée par le juge est passée, elle ne pourra pas faire ce stage. Mme. S. est très découragée et nous écrit pour nous dire qu’elle n’attend plus rien et qu’elle sait qu’elle devra faire toute sa peine.
Nous demandons à la revoir. À la rencontre, mi-février 2024, nous la trouvons mieux. Elle a vu l’avocate désignée qui se charge de son dossier, a obtenu une permission encadrée par un SPIP, en mars, pour participer sur Roanne à un atelier théâtre, et une autre en avril pour faire du sport.
Au long des quatre entretiens que nous avons eus avec elle, Mme. S. s’est toujours impliquée dans les démarches, se renseignant avant de nous voir sur les questions juridiques, et s’est montrée intéressée par La Cimade. Nous la quittons en espérant que le tribunal administratif va demander à la préfecture de lui donner des papiers. Nous espérons aussi que la préfecture, forte de la nouvelle loi « Asile Immigration » du 26 janvier 2024, qui rend possible l’expulsion d’une personne ayant eu une peine de cinq ans et plus, ne la renverra pas au Cameroun où elle n’a pas d’attaches, et dont rien ne garantit qu’elle pourra y poursuivre son traitement.
Mme. S. a finalement été libérée au bout de douze ans de détention (pratiquement toute sa peine), alors qu’elle a eu un comportement dit « exemplaire » en détention. Nous n’avons pas su si elle avait obtenu à sa sortie un récépissé, voire un titre de séjour. Sa conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation ne le savait pas non plus. Parfois, nous pouvons prendre des nouvelles auprès des familles ou des ami·e·s des détenu·e·s avec qui nous avons des échanges pendant la détention, mais Mme. S. était vraiment seule et isolée.
Cette situation nous laisse souvent désemparées et tristes, car en deux ans de rendez-vous réguliers, nous arrivons à nous connaître réciproquement et à tisser des liens qui sont coupés brutalement.
Le Centre de détention de Roanne (42100)
Ce centre relativement neuf (2009) est assez loin du centre-ville. Il accueille des détenu∙e∙s purgeant de longues peines, entre quatre et trente ans voire plus, et comporte, au 1er janvier 2024 et d’après l’Observatoire international des prisons, 510 places pour les hommes, 88 pour les femmes. Dans les centres de détention, les détenu∙e∙s ont une cellule individuelle et peuvent circuler librement dans la journée dans leur couloir…
Nous intervenons toujours en binôme et estimons que le fait d’être deux est nettement plus « confortable » pour nous, et peut-être pour la ou le détenu que nous rencontrons dans un parloir. Deux approches, deux façons de les entendre et de réagir, la possibilité après l’entretien de croiser nos points de vue et d’analyser la situation de la personne.
Nous avons environ une demi-heure par détenu·e, et parlons essentiellement de leur situation au regard de la législation et du code qui régit la vie des étranger·e·s en France, à savoir le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les questions liées à leur droit au séjour (titre de séjour, carte de résident…) occupent l’essentiel de nos dialogues, mais les personnes nous parlent aussi de la détention, de leur famille, de leurs angoisses face à l’avenir…
Nous constatons aussi (étant également intervenues plusieurs années à la maison d’arrêt de la Talaudière) que nous pouvons travailler sur le plus long terme, et nous avons vu des détenu·e·s plusieurs fois pour tenter de faire avancer leurs dossiers de titres de séjour par exemple.
La rencontre avec cette dame, vue plusieurs fois en trois ans, nous a vraiment marquée de par son calme, son intelligence et son fatalisme. Elle nous a dit après plusieurs entretiens « je sais que je ferai ma peine jusqu’au bout alors que de nombreux autres détenus bénéficient de remises et que je risque d’être renvoyée au Cameroun où je ne pourrai plus me soigner … ».
Marion Peyre
Bénévole intervenante en prison
depuis 2018