LA PRISON : UN KALÉIDOSCOPE DE CHRONIQUES
Beaucoup de choses ont été écrites sur la prison : sa capacité à fabriquer de la récidive, les conditions d’hygiène déplorables, les bâtiments décrépis où grouillent rats et cafards, la violence des caïds qui exploitent les nouveaux arrivant·e·s, la corruption, la surpopulation, les trafics et exploitations en tout genre, en un mot les conditions indignes de l’incarcération. Il serait facile de retracer la liste de celles et ceux qui, depuis maintenant quasiment deux siècles, dénoncent la brutalité de l’incarcération, et ses conséquences délétères sur les personnes détenues.
Notre approche ici à nous, gens de La Cimade, qui venons de manière régulière rencontrer des détenu·e·s étranger·e·s sera différente. Comment présenter l’expérience que nous avons de la prison des étranger·e·s ? Laquelle expérience consiste à rencontrer des détenu·e·s étranger·e·s pour leur donner une aide de nature essentiellement juridique en matière de documents administratifs. Nous sommes plusieurs à prendre la plume et nous assumons totalement d’avoir des expériences différentes et des points de vue non totalement homogènes. La présentation sous forme de « chroniques » écrites en des lieux, à des moments et par des auteurs et autrices différent·e·s nous paraît donc le meilleur moyen de rendre compte de cette diversité d’approches et de regards.
Nos visites - quasi hebdomadaires - tendent à résoudre non seulement des situations administratives souvent qualifiées de « kafkaïennes » mais aussi à prêter une oreille attentive à ce qui se dit et se vit.
Récoltée depuis environ deux ans, par un petit groupe de bénévoles exerçant dans bien des coins de l’hexagone ou en territoire ultramarin, la parole relatée ici cherchera en priorité à transcrire le vécu, le ressenti, en un mot l’humanité des personnes rencontrées au cours de nos visites. Elle tentera aussi de laisser apparaître ce qui nous touche profondément, nos résistances inexplorées, ce qui nous fait évoluer …
La forme de ces témoignages ? De brefs récits résultant d’entretiens menés le plus souvent au cours de rencontres uniques, parfois sur plusieurs mois ou plus rarement sur plusieurs années. Ces rencontres tentent aussi - au-delà du fait de résoudre les problèmes administratifs - de mieux appréhender l’incidence de l’enfermement sur la personne détenue elle-même et sur son environnement familial ou professionnel. Notons aussi que le lien créé avec les détenu·e·s est cependant parfois interrompu - de manière intempestive - par son transfert soudain dans une autre prison laissant des interrogations inquiètes quant à son devenir.
Pour ajouter à la complexité de l’entreprise, précisons que si La Cimade intervient dans environ 70 prisons en France, nous ne sommes ici pour parler de notre engagement qu’une poignée de bénévoles présent·e·s dans une dizaine de prisons. Ajoutons que, contrairement à une approche commune et courante, le monde des prisons en France nous apparaît tout à fait kaléidoscopique. Son image se transforme dès que l’on décale un peu le point de vue : les juges n’en parlent pas comme les avocat·e·s, non plus que les fonctionnaires de haut niveau sans compter les surveillant·e·s ou les CPIP... et bien sûr les personnes détenues.
Écrire sous forme de chroniques, c’est donc donner à voir les incohérences et les bizarreries de ce monde, de prendre de la distance avec ces discours normalisateurs souvent fondés sur l’hypothèse que les systèmes juridiques introduiraient de la cohérence.
Nous proposons donc de vous raconter des histoires. Qui sont histoires de “petites gens” et donc de “petites histoires”. Mais qui, cependant, sont un bon point d’attention quand on veut réfléchir aux grands principes…
Notre envie : c’est au travers de ces chroniques régulières de donner envie aux Cimadien·ne·s intervenant en prison ou pas, de nous lire, de nous interpeller, éventuellement de nous répondre, de compléter nos témoignages...
Anne, Brigitte, Claire, Jean, Marion et Michel.
La Cimade, juin 2025