CHRONIQUE DE PRISONS 04
HAROUN, RÉFUGIÉ SOMALIEN
Grand, maigre, le visage émacié, un jeune homme vêtu de noir entre dans la pièce, d’un pas hésitant. Son français aussi est hésitant et je le vois se détendre d’emblée quand je lui dis qu’on peut parler anglais s’il le souhaite, langue qu’il maitrise très bien. Haroun est né dans un village proche de la ville de Baidoa en République Fédérale de Somalie (capitale Mogadiscio). Cette région située au centre de la Somalie est sous le contrôle depuis 2007 du groupe terroriste Al Shabab.
Il est l’ainé d’une fratrie de quatre, mais lorsque son père meurt dans un attentat à la voiture piégée, il devient le chef de famille. Il a 25 ans et est sans arrêt menacé par les chebab qui veulent l’enrôler dans leur milice. Il décide alors de s’exiler pour protéger sa vie et subvenir aux besoins de sa mère et de ses jeunes frères.
Dans la Corne de l’Afrique, voyager par la route et sans moyens est très difficile. Haroun va traverser l’Éthiopie, le Soudan, la Libye où il travaille pour se payer le passage pour l’Italie. De là il va ensuite en Suisse à Zurich où il demande l’asile qui lui est refusé. Il décide alors d’aller en France.
Refus d’asile et comparution immédiate
A Montpellier, il rédige son récit de vie avec l’aide de la structure du premier accueil des demandeurs d’asile puis monte à Paris, est convoqué par l’OFPRA1 , mais grosse déception la réponse est négative. Il retourne alors à Sète où il est rapidement arrêté par la police. Notifié d’une OQTF2 , il est mené au centre de rétention administrative le long du quai François Maillol… Il y restera deux mois et ressortira libre.
Pourquoi n’a-t-il pas déposé un recours auprès de la CNDA à l’issue du refus de l’OFPRA ? Il dit avoir été au bureau de La Cimade, qui était fermé pour travaux, et qu’après c’était trop tard (le recours doit se faire dans le mois suivant la réponse négative de l’OFPRA). Haroun ne reçoit plus aucune aide financière, devient SDF à Sète et vivote comme il peut. Il dort dans une barque abandonnée dans le port pendant un an. Un jour il a une embrouille avec une fille qui « se pique », l’altercation se termine mal. Il est mis en garde à vue et jugé en comparution immédiate.
Haroun écope de 14 mois de prison et d’une interdiction de séjour à Montpellier et Sète. Contactée, l’ambassade de Somalie à Paris refuse de lui délivrer un laisser-passer consulaire. Il ne peut donc ni être expulsé, ni demander un titre de séjour.
A sa sortie, dans quelques mois, il sera surement ramené dans le centre de rétention pour deux ou trois mois puis libéré à nouveau. Haroun fait partie des « ni ni » : il n’est ni expulsable, ni régularisable… Il n’est ni expulsable ni régularisable et donc condamné à vivre d’expédients.
Baidoa !
A l’issue de notre discussion sur sa situation et le fait qu’aucune solution ne puisse être proposée, je me permets de dire à Haroun que je connais son pays, que j’ai vécu à Mogadiscio avant même sa naissance ! Il me regarde, d’un air incrédule (il doit penser que j’ai cent ans !). En mission pour MSF nous coordonnions avec mon conjoint à partir de la capitale une importante équipe médicale présente dans les camps de réfugiés de la région éthiopienne de l’Ogaden. Et, ajoutais-je, je suis retournée en Somalie centrale en 2010 pour une autre mission humanitaire près de la ville de Baidoa.
Baidoa ! Haroun ouvre de grands yeux, l’air stupéfait.
- « Moi aussi je viens de la ville de Baidoa ! Alors… Vous connaissez mon pays et vous étiez là-bas quand moi j’avais onze ans », me dit-il avec un grand sourire.
- « Oui, dis-je en souriant, peut-être nous sommes nous rencontrés, peut-être suis-je passée dans votre village ou même que je vous ai vu sur le chemin de l’école !
- Ah oui peut-être… »
Hélas, l’heure tourne. Nous n’avons plus le temps de parler. Je le raccompagne à la porte du parloir et nous nous serrons la main avec émotion. Je ne vois pas ce que je peux faire de plus pour lui. Essayer de le revoir avant sa sortie pour lui donner l’adresse de La Cimade de Nîmes où il pense aller à sa sortie ? Je ne peux même pas lui remettre le « Guide des solidarités » édité par la métropole de Montpellier qui lui aurait permis de savoir où trouver un repas chaud, des habits propres, se faire soigner, etc., car Haroun est interdit de séjour de la ville de Montpellier pour une période de trois ans.
Le sentiment d’être assommée
A l’issue de cette froide matinée de janvier, je me sens un peu assommée. Nous avons rencontré aussi trois autres personnes, dont un jeune afghan qui me dit avoir été torturé par les Talibans alors qu’il travaillait pour les forces spéciales américaines (lui au moins avait eu la chance d’obtenir l’asile). Bien au chaud dans ma voiture, l’image d’Haroun me poursuit. Je pense à sa mère qui attend des nouvelles de son fils et s’inquiète…
Sur la route du retour – le centre pénitentiaire est à treize kilomètres de mon domicile -, l’esprit préoccupé, je conduis sans doute un peu trop vite et brûle un radar…Flashée ! Aie, je vais devoir payer 45 euros.
Il est treize heures, je mets la radio et dans le flot des informations j’apprends qu’il y a eu la veille un attentat à Mogadiscio signé des chebabs, le groupe islamiste qui a fait fuir Haroun et tué son père. Il y a une dizaine de morts.
Centre Pénitentiaire de Villeneuve Les Maguelone. Hérault
Le centre Pénitentiaire de Villeneuve Les Maguelone dans l’Hérault a une capacité d’accueil d’environ 600 places mais en réalité 900 personnes détenues environ y vivent dans des conditions difficiles : matelas par terre, forte promiscuité, accès restreint aux activités sportives, éducatives, sociales ou travail rémunéré, etc. Cette prison – quasi-exclusivement pour hommes - a aussi un quartier pour les mineur·e·s de 20 places, et gère depuis 2022 une structure d’accompagnement vers la sortie (SAS). La moyenne d’âge des personnes rencontrées est de 31 ans et la durée de leur séjour de 14 mois en moyenne.
Brigitte et moi intervenons en binôme chaque semaine depuis 2012. Ayant passé toute ma vie professionnelle dans « l’humanitaire » en Afrique et en Asie auprès des réfugié·e·s et des migrant·e·s, il m’a paru naturel - de retour en France - de continuer à les soutenir et les aider dans leur itinérance surtout lorsque celle-ci passe par la prison ou/et le centre de rétention.
Claire Escoffier
Bénévole prison depuis 2012.